Monday, September 3, 2012

Une héroïne de la Nouvelle-France en campagne électorale

Demain, le 4 septembre, les Québécois iront aux urnes. La lutte s'annonce serrée entre le Parti libéral sortant, le Parti québécois et le petit dernier sur la scène politique, la Coalition Avenir Québec. Les chefs de parti redoublent d'efforts pour séduire les électeurs. La semaine passée, François Legault, fondateur de la CAQ, donnait une conférence de presse aux côtés d'une douzaine de candidates dans le but de courtiser l'électorat féminin. Qu'est-ce que tout cela peut bien avoir à voir avec la Nouvelle-France, vous me demandez? Croyez donc que c'est au pied de la statue de Madeleine de Verchères, à Verchères, qu'on a cru bon tenir l'événement. 
 

Pour ceux qui ne connaisseraient pas ce fascinant personnage, rappelons quelques faits. Marie-Madeleine Jarret de Verchères (1678-1747) naquit à Verchères en aval de Montréal, fille du Sieur François Jarret, seigneur fondateur du lieu.  Elle grandit à une époque pionnière, marquée avant tout par la guerre franco-iroquoise.  Le 27 octobre 1692, âgée de quatorze ans, elle aurait accompli l'acte qui l'a immortalisé: en l'absence de ses parents et d'une garnison digne du nom, elle défendit le fort de Verchères contre une attaque iroquoise.

Pendant la deuxième moitié du XIXe siècle, la droite nationaliste canadienne-française redécouvrit cette figure oubliée et vit en elle un puissant symbole de survivance.  Une véritable Jeanne d'Arc canadienne!   Au début du XXe siècle, d'autres s'approprièrent le personnage avec autant d'ardeur: nationalistes pan-canadiens cherchant à développer une mémoire historique commune aux deux "races" fondatrices; mais aussi féministes et suffragettes anglophones à la recherche d'icônes exaltantes.

Ayant atteint son apogée pendant les années 1920, la popularité de Madeleine de Verchères a par la suite péréclité.  Les historiens ont beaucoup contribué à cette tendance. André Vachon (dans le Dictionnaire biographique du Canada) et Marcel Trudel (dans Mythes et réalités dans l'histoire du Québec) ont relevé les exaggérations et les nombreuses irrégularités dans les récits que Madeleine de Verchères a fait de ses exploits.  Elle fut, en effet, l'auteure de sa propre légende.  Ces historiens ont par ailleurs souligné à quel point sa vie adulte fut ponctuée de querelles l'opposant à ses voisins et au clergé local.  La Madeleine, semble-t-il, avait fort mauvais caractère.

Plus récemment, Colin Coates a sondé dans Heroines and History: Representations of Madeleine de Verchères and Laura Secord la gamme des messages véhiculés par cette héroïne au fil des années.   La dimension la plus inquiétante, peut-être, du culte de Madeleine de Verchères et que celui-ci s'insère dans la trame pernicieuse où s'affrontent héroïsme européen et perfidie autochtone.  Dans l'histoire de cette "héroïne québécoise", les méchants Iroquois rôdent à l'orée du bois.  Ils sont méconnus et méconnaissables.  Or, les travaux des historiens nous ont donné depuis deux ou trois décennies une bien meilleure compréhension de la culture, des motivations, de la guerre mais aussi de la diplomatie de ceux qu'on appelait jadis les "Sauvages".

Conclusion: les politiciens et leurs entourages n'ont-ils pas le devoir de se livrer à l'examen des figures, des symboles et des monuments historiques avant de s'y vouer?  Une figure politique réfléchirait à deux fois avant de se faire prendre en photo devant un monument à Dollard des Ormeaux.  Madeleine de Verchères n'est-elle pas moins l'héroïne d'une société québécoise d'avant la Révolution tranquille, une société désormais révolue?

P.-F.-X.  

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