Tuesday, December 31, 2013

Deux anniversaires ratés? Argall et Raynal

Revivra-t-on de sitôt une année aussi chargée sur le plan commémoratif que celle qui aujourd'hui se termine?  Remontée de la Rivière des Outaouais par Champlain (1613); fondation du Conseil Souverain et du Séminaire de Québec, arrivée des premières Filles du Roi (1663); Traité d'Utrecht (1713); Traité de Paris, Proclamation royale et Guerre de Pontiac (1763). 
 
Avant de tourner la page sur 2013, pourquoi ne pas prendre l'occasion de réfléchir aux quelques anniversaires qui seraient passés inaperçus?  Il me semble y en avoir au moins deux, qui s'adonnent à finir en -al.

Le 400e du sac de l'Acadie par Samuel Argall

Vers 1610 les Anglais prennent connaissance de l'entreprise coloniale française en Amérique du nord... dans des territoires qui avaient, en principe, été concédés par James I à la Virginia Company of London!  En vertu de l’autorité qui lui avait été conférée par ce roi, l'assemblée de la Virgnie nomma  le capitaine Samuel Argall amiral à l'été 1611.  S'étant formé au métier des armes dans les guerres des Pays-Bas, ce dernier s'était plus récemment tourné vers la lucrative pêche des Terres-Neuves.

Argall fut ainsi chargé par le gouvernement de la Virginie d'expulser les Français de tout le territoire revendiqué par l’Angleterre.  Voguant à bord du Treasurer, il atteignit les établissements d'Acadie en juillet 1613.  L'Acadie française, comme elle se révélera l'être maintes fois par la suite, était éminemment vulnérable.  Les Français y étaient peux nombreux, par surcroît divisés par une querelle qui opposait le commandant Charles de Biencourt aux Jésuites Biard et Massé, et affairés à l'érection d'une nouvelle habitation dénommée Saint-Sauveur (sur l'actuelle Mount Desert Island non loin de Bar Harbor, au Maine).  Argall s'en prit d'abord à cet établissement.  Puisque la majorité des Français avaient mis pied à terre pour les travaux, leurs vaisseaux furent aisément capturés; puisqu'ils n'avaient pas encore fortifié les lieux, ils ne purent s'opposer au débarquement de leurs adversaires.  De Saint-Sauveur, Argall se rendit à Sainte-Croix, où il détruisit et pilla les restes de la vieille habitation.  Puis, ce fut au tour du chef-lieu de Port Royal, qu'il fit raser -- seul le moulin et quelques dépendances isolées furent épargnées.

La flotte d'Argall quitta Port-Royal le 13 novembre 1613.  Lors du retour de l'amiral en Angleterre l'année suivante, la légitimité de sa campagne contre les établissements français d'Acadie fit l'objet d'une enquête qui se solda par son exonération et par la réaffirmation des droits de la Virginia Company.  En dépit des révendications anglaises, et en partie à cause d'elles, l'entreprise française persistera cependant encore longtemps en Acadie.

Trop occupés cette année à réfléchir à l'ultime chapitre du conflit franco-britannique en Amérique, n'a-t-on pas raté une belle occasion de se pencher sur l'une de ses premières expressions?

Le 300e de la naissance de Raynal

Un autre anniversaire?  Pourquoi pas celui de la naissance d'un des premiers historiens de la colonisation française : Guillaume Thomas Raynal?  Celui que l'on connaît mieux sous le nom de l'abbé Raynal naquit le 12 avril 1713 à Lapanouse en Aveyron.  Formé chez les Jésuites, puis ordonné prêtre, il servit de précepteur à des fils de grandes familles parisiennes et devint habitué des salons.  Collaborateur de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, il dirigea un certain temps le Mercure de France, et publia quelques ouvrages historiques avant d'entreprendre son magnum opus.  Cette Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes deviendra un succès de librairie, un véritable "best-seller" des Lumières.  La première édition paraît à Amsterdam sous l'anonymat en 1770; la seconde en 1774, toujours sous l'anonymat, mais arborant le portrait de l'auteur; une troisième, clairement attribuée cette fois, paraît en 1780.  (À vrai dire, Raynal avait eu quelques collaborateurs, dont Diderot.)

L'ouvrage, fort critique sur le plan politique, social et moral, est interdit par le Conseil du Roi, condamné par le Parlement de Paris et la Sorbonne, et mis à l'Index.  Son auteur sera un certain temps proscrit, mais il sera surtout adulé.  Dans le survol de la colonisation européenne qu'est l'Histoire des deux Indes, la Nouvelle-France et le Canada depuis la Conquête occupent une place singulière.  La description du Canada, depuis sa découverte, les étapes de sa colonisation, les cadres de vie des Canadiens, y tiennent en effet une longueur exceptionnelle, trois des dix-neuf chapitres si je ne m'abuse.  Son influence se fera sentir.  F.-X. Garneau fit abondamment usage de l'Histoire des deux Indes.  De même les poètes et les historiens et de l'Acadie -- l'image que Longfellow et bien d'autres nous ont faite des Acadiens d'avant la deportation, comme vivant paisiblement et en parfaite harmonie avec la nature, c'est du Raynal tout craché! 

Raynal diffusa par ailleurs l'idée selon laquelle la France possédait, malgré la perte du Canada, des colonies en nombre suffisant.  En cet anniversaire des Traités de Paris de 1763 et 1783, pourquoi ne pas lui reconnaître une part de responsabilité (attention: je ne dis pas blâme) dans l'abandon définitif du Canada? 

Le tricentenaire Raynal a été marqué par certains en France, mais est a ma connaissance passé parfaitement inaperçu de ce côté de l'Atlantique.  Ceux qui voudraient en savoir plus long sur le pendant nord-américain de la pensée et de l'oeuvre de Raynal peuvent toutefois feuilleter le texte d'une intervention de Gilles Bancarel dans les actes du colloque du Congrès national des sociétés historiques et scientifiques tenu à Québec en 2008.  Les obsédés pourront ensuite se tourner vers l'historien français Émile Salone, qui publiait déjà en 1906 une étude intitulée Guillaume Raynal, Historien du Canada (il s'agissait d'une thèse complémentaire à la thèse principale, La colonisation de la Nouvelle-France, soumise pour l'obtention de son doctorat).

Ais-je manqué d'autres anniversaires?  Quoi qu'il en soit, on se revoit en 2014?

P.-F.-X.
 

Sunday, December 22, 2013

La Galissonière and Harper?

The current Canadian Government's cavalier attitude towards researchers in general, and those who toil in the public service in particular, has been a topic of great frustration for many of my cohorts.  A review of Chris Turner's new book, The War on Science : Muzzled Scientists and Willful Blindness in Stephen Harper's Canada, just published by Ivan Semeniuk in the Globe and Mail, interestingly enough opens with... who might have guessed?  A governor of New France!

"It’s fair to say that the bewigged visage of Roland-Michel Barrin de La Galissonière does not loom large in the Canadian psyche.  A naval commander and governor of New France in the mid-18th century, La Galissonière brought the spirit of the French Enlightenment to the new world and a passion for science to his colonial duties. For two short years, from 1747 to 1749, he was a whirlwind of inquisitiveness, directing his officers to observe, collect, chart, record and otherwise thoroughly document the natural history of the interior."

"Then La Galissonière was recalled to Europe and the administration of what would eventually become British North America was left to those of a less empirical bent. Not until Sanford Fleming arrived from Scotland a century later was there as strong a push in Canada to be at the leading edge of scientific discovery."

Those are Semeniuk's words.  A quick leafing through Turner's book, portions of which are available via Google Books, shows him beginning with Champlain and going on to state that La Galissonière's brief tenure the French colony was "a centre of Enlightenment scholarship" and "at the Enlightenment's vanguard" (a bit of an overstatement?).  But these seventeenth and eighteenth-century origins of what he calls the "Scientific Tradition in Canadian Government", as well as those of the nineteenth, are dispensed with in a mere two pages in a book whose focus is squarely contemporary.

Those interested in the subject matter should really keep an eye out for Chris Parsons' forthcoming book, Cultivating a New France: Knowledge, Empire and Environment in the French Atlantic World, 1600 – 1760.

P.-F.-X.

Saturday, December 14, 2013

Requiescat in Pace : Eugène Leliepvre

Enseigne et sergent des troupes de la Marine,
par Eugène Leliepvre.  Source: Parcs Canada.
Il y a un peu moins d'un mois, le 19 novembre, décédait à l'âge de 106 ans l'artiste Eugène Leliepvre.  Peintre Officiel de l’Armée française depuis 1951 et spécialiste des uniformes de l'Ancien Régime, son œuvre a alimenté d'une façon inestimable l'image qu'on se fait aujourd'hui de la Nouvelle-France.  Vous avez tous croisé et apprécié de ses illustrations, j'en suis certain.

Aux premières commandes de la Company of Military Historians, qui le sollicite dès les années cinquante pour illustrer les spécificités des uniformes des Français ayant foulé le sol nord-américain, succèdent plusieurs commandes de planches sur les troupes françaises au Canada.  Par l’intermédiaire de René Chartrand,  alors conservateur en chef à Parcs Canada, Leliepvre confectionne une série de mannequins militaires et de planches illustrant la vie dans les forts de la Nouvelle-France.  De même, il ouvre les portes de son atelier à Francis Back, alors élève en art, qui depuis et devenu le peintre de la Nouvelle-France. 

On peut -- et l'on doit -- contempler l'œuvre de Leliepvre avec un œil critique.  Ses autochtones et ses coureurs des bois renvoient un peu trop aux stéréotypes d'antan : cuir frangé, hures toutes simples chez les autochtones et anachroniques barbes chez les français, etc.  Le bilan de son n'œuvre n'en demeure pas moins remarquable.  En matière d'uniforme, son souci du détail historique est incontestable.

Les intéressés trouveront un survol de l'œuvre "canadienne" de Leliepvre ici.

P.-F.-X.

Friday, December 6, 2013

Bravo, LAC!

I agonized over whether to blog about this or not over the last week.  Sotheby's was offering up in its December 5th sale two significant documents.  The first was a lovely manuscript map of Louisbourg by a certain sieur Lartigue, entitled "Carte topographique du Port et de la Ville de Louisbourg assiégé par les Anglais pendant les mois de Juin et Juillet 1758"; the second was an intriguing two-part journal of said siege and its aftermath, totaling some 180 pages, penned by an anonymous officer of the Régiment de Cambis.  As far as I know, this journal had not previously been available to researchers; I couldn't find it quoted anywhere.  The auctioneer's estimate for the map was of $15,000-$20,000 USD, and for the journal was of $8,000-$12,000 USD. 

It's one thing to blog about a forthcoming auction and call out the auctioneers for an outlandish overvaluation of a lot's historical and monetary value (readers may remember an earlier sortie).  But in a case such as this one, where the manuscripts for sale are of exceptional interest, to make a big deal out of it before the sale essentially means giving free publicity to the auctioneer and the consigner -- and potentially contributing to raising the sale price beyond the means of the most deserving institutions.  So, having agonized, I thought I'd best bite my tongue.

I'm now overjoyed to report that the journal was acquired by Library and Archives Canada.  Yes, the same LAC I was disparaging in a recent post for not making any acquisitions as of late.  A wind of change rises?  You can read the government's proud announcement here.  LAC paid $40,625 USD, or about four times the estimate.  This appears to be a deal, since from what I can tell the same two-part journal was sold by French auction house Piasa as recently as 2010 for 51,345 euros, or about $70,000.  Well done, LAC! 

PS: The map, meanwhile, sold for almost seven times its high estimate: $137,000 USD!

P.-F.-X.